Le bâton de marche

19.5.03

 

Retour sur terre

Convoqué pour un entretien individuel à l'Anpe, je me suis découvert pour compagnons d'infortune une grosse mère de famille rougeaude à l'air un peu bovin, une autre un peu moins grosse mais au même chewing gum élégant, et une troisième toute maigre, avec une face de carème. Une jeune femme à la plastique, et au cheveux, superbes, toute aussi adepte du chewing gum que ses consoeurs. Un père de famille aux cheveux ras, distrait: il avait déjà eu son rendez vous 10 jours plus tôt. Un moustachu, client du même coiffeur ?, au maintien militaire. Un jeune homme efféminé dans son t-shirt blanc et moulant. Un informaticien plus de première jeunesse.
Dans la pièce silencieuse, il émanait des femmes une atmosphère d'indifférence, de résignation, de douleur.
Les hommes, censés être avantagés sur le marché du travail car ce sont des hommes, masquaient leurs émotions par une motivation bonhomme et tranquille.
Je me demande bien quelle tête j'avais.
Après avoir rapidement complété un dossier d'entretien (que faites vous pour trouver du travail ? en était la question subliminale), nous fûmes invités par nos deux conseillères à patienter, tandis que les uns après les autres, nous comparaitriions pour le chef d'accusation: "Vous êtes chômeur !".
J'occupais cette grosse heure d'attente en observant les autres rameurs, en examinant d'un oeil distrait les annonces placardées (le médical et la coiffure tiennent la corde), puis en m'inquiétant finalement réellement pour mon sort: oubliant les démarches déjà effectuées, le goût des enveloppes ou la couleur dominante de ma base de données excel (violet pour les réponses négatives), je me pris à penser que je n'en glandais pas une depuis trop longtemps.
"Aide toi, le Ciel t'aidera", dit le proverbe ! Je parcourus alors fébrilement, stylo en main, un numéro récent d'une revue pour (jeunes) cadres dynamiques, vantant les vertus du speed dating, pour trouver l'âme soeur aussi bien que pour décrocher un emploi. Les pages d'annonces, en revanche, se firent maussades sous mon regard inquisiteur. "Trop jeune !", "Pas assez d'expérience !", "Tu ne connais pas le X-SAPQML#++ ? Dégage !" me disaient elles sèchement. Je pus tout de même y récupérer, à la sauvette, un ou deux noms d'entreprises inconnues et (peut être ?) prometteuses.
Puis la conseillère gothique appela mon nom et j'y répondis aussi fidèlement qu'un épagneul au sifflet de son maître.
Alors, les nuées s'écartèrent, les trompettes résonnèrent, les anges firent pleuvoir myrrhe et pétales de roses sur ma petite tête.
Il apparut que je serais certainement le premier parmi les condamnés à être sauvé. Mon jeune âge, la diligence avec laquelle j'avais effectué mes études (mais nous sommes des milliers !), plaidaient pour moi. "Il en faudrait plus, des comme vous" et "vous êtes motivé, c'est bien, cela se voit" achevèrent de me réconforter (et j'en avais besoin).
Je n'ai pas d'emploi, mais je suis un cas rapide et plaisant à traiter.